Un enfant de la Camargue, une légende de la photographie
Né à Arles en 1934, Lucien Clergue a fait de sa région natale la muse de sa carrière photographique. Sa passion pour la Camargue, Arles et les Saintes-Maries-de-la-Mer imprègne tout son travail : il capte avec une sensibilité unique les paysages sauvages, les rituels gitans, les lumières changeantes et la force brute de cette terre entre Rhône et Méditerranée.


Lucien Clergue n’était pas un simple photographe, mais un véritable agitateur d’images. À la lisière de l’instinct, son travail enfonce les barrières entre l’art populaire et l’avant-garde. Clergue ne photographie pas la Camargue, il la crie, la danse, la met à nu. Chevaux sauvages, arènes, gitans en transe : tout devient symbole, tout prend des allures de manifeste visuel, brut et viscéral, hautement subversif pour l’époque.
La Camargue comme farandole poétique
Oubliez l’image bucolique : la Camargue de Lucien Clergue est tout sauf une carte postale tranquille. C’est un territoire brut, traversé de poussière, d’écume, une terre où la lumière, parfois crue, cisèle et sculpte le réel jusqu’à faire surgir des spectres sur le sable. À travers l’objectif du photographe arlésien, la nature se mue en théâtre d’ombres et de contrastes, où chaque cliché oscille entre gravité et électricité.


Clergue fait de la Camargue une scène poétique, transfigurée par ses « écritures de sable » : ces lignes mouvantes et éphémères gravées par le vent, que son appareil capture comme des tatouages sur la peau du monde. Les nus sensuels qu’il photographie se lisent comme des riffs de guitare, vibrants, libres et électriques, tandis que les fêtes gitanes explosent, sous son œil, en déflagrations de vie. L’appareil n’est jamais neutre ; il devient arme, révélant la violence, la beauté brute, la tendresse cachée des paysages et des corps.


Chez Clergue, la lumière est un cri : un éclat qui perce les silences, qui révèle l’intimité fugace des hommes et du monde. Son œuvre, sensuelle et sauvage, grave à jamais la Camargue dans la mémoire collective, non pas comme un décor idéalisé, mais comme un territoire vibrant, où l’art donne à voir l’invisible.
Arles, Saintes-Maries, et la contre-culture
Clergue a installé sa tribu à Arles et fait des Saintes-Maries-de-la-Mer la capitale secrète de tous les nomades. Autour de lui, c’est tout un monde qui gravite : artistes, gitans, poètes, musiciens, marginaux, en quête de liberté et d’intensité. Dans ce sanctuaire improvisé, chaque pèlerinage devient une célébration incandescente, où se mêlent la ferveur religieuse et la transe profane.

Au cœur de la foule, Clergue saisit la noise des guitares manouches, l’odeur du vin qui colle aux lèvres, la densité charnelle du vivant. Son regard décèle la beauté dans l’excès, l’élan vital dans le chaos, la fraternité dans la marge. Il photographie la Camargue comme une utopie sauvage : ici, tout s’invente dans l’instant, loin des conventions, porté par la fierté de ceux que la société oublie ou redoute.

Clergue, c’est le photographe qui rend hommage aux marginaux de toutes origines, à ceux qui refusent les codes, à ces artistes de la démesure qui transforment chaque instant en fête ou en rituel. Sous son objectif, les Saintes-Maries deviennent le théâtre d’une humanité débordante : visages burinés, nues entre ombre et lumière, mains qui battent la mesure, regards farouches, danses nocturnes où la poussière se mêle à la sueur. Dans la lumière dorée ou blafarde, il réinvente la Camargue comme un territoire de liberté, un refuge pour les âmes nomades.

Les copains de l’excès : Picasso, Cocteau et la clique
Si Clergue a réussi à faire entrer la photographie dans le circuit fermé de l’art majeur, c’est autant grâce à son insolence qu’à l’étendue hors norme de ses amitiés. L’art, pour lui, n’est ni cloison ni discipline : c’est un terrain d’électricité partagée, où les frontières tombent sous l’impulsion de rencontres décisives. Picasso lui ouvre d’emblée les portes du mythe : il dessine la couverture de Corps mémorable, premier livre de Clergue, et affiche son soutien sans réserve, reconnaissant dans ses clichés une flamboyance voisine de la sienne.

Cocteau, quant à lui, ne tarde pas à s’approprier ses images, à les fondre dans ses propres expériences graphiques, tissant entre poésie, photographie et cinéma de nouveaux passages secrets. Grâce à ces alliances audacieuses, Clergue fait sauter les verrous de la tradition : il insuffle dans l’art français une énergie brute, sauvage, poussièreuse, d’une Camargue réelle et rêvée.

Clergue, c’est le passeur d’une génération qui refuse l’immobilisme, le trublion qui invite à table les poètes, les gitans, les rêveurs incandescents. Arles devient son salon : on y croise les rockstars de la créativité, faiseurs de lumières nouvelles, marginaux flamboyants venus bousculer la vieille France des académies. C’est là que la photographie trouve enfin, sous la houlette de Clergue, sa place dans la cour des grands, non pas en imitant les arts nobles, mais en imposant sa propre voix, imprévisible et fière.
Les Rencontres d’Arles : la photo en mode festival sauvage

En 1970, coup de génie : Clergue invente le festival photo d’Arles, qui deviendra le plus grand du monde. Plus qu’un simple rendez-vous, il devient une institution d’expériences, de confrontations, parfois de clashs artistiques : la photographie y sort de ses cadres, se pose sur les murs de la ville, explose dans ses friches. C’est ici qu’un art longtemps jugé « mineur » devient un tremplin pour les voix dissidentes, un bastion pour tous les amoureux de la contre-culture et les iconoclastes.
Héritage : Lucien le franc-tireur
Premier photographe à entrer à l’Académie des Beaux-Arts, président en 2013, Clergue laisse le souvenir d’un franc-tireur : poète, provocateur, défricheur, véritable punk méditerranéen avant l’heure. Il aura bousculé les codes, dynamité l’académisme, inventé de nouvelles manières de voir avec autant d’audace que de tendresse.
Lucien Clergue, c’est la preuve vivante que la photographie peut être brutale, sensuelle, urgente et sublime, comme une arme de disruption massive, un cri camarguais dans la nuit de la modernité.
Le site officiel de Lucien Clergue
« Crédit photo : Lucien Clergue / droits réservés. Merci de respecter l’œuvre et son auteur. »

