Gordon Mitchell : Gueule de salaud

Gordon Mitchell, alias Charles Allen Pendleton, incarne la collision parfaite entre la culture du muscle, l’exubérance du cinéma d’exploitation italien et le magnétisme brutal d’une « gueule de salaud ». Mais l’histoire ne serait pas complète sans évoquer son détour inattendu par la comédie française, où il a su jouer avec son image avec un humour décalé.

Des haltères à Cinecittà : L’Odyssée d’un colosse

Né à Denver, en 1923, Charles Allen Pendleton, plus connu sous le nom de Gordon Mitchell, se forge un physique d’acier au célèbre Muscle Beach, en Californie, véritable temple du culturisme américain où s’entraînent les plus grands athlètes de son époque. Là-bas, il côtoie des figures emblématiques comme Joe Gold, le fondateur de Gold’s Gym, et des pionniers du bodybuilding tels que Vic Tanny et Jack LaLanne, qui contribuent à façonner la culture du muscle dans l’après-guerre.

L’époque muscu en Californie

Son engagement pour la discipline physique s’inscrit dans un parcours de vie marqué par le service militaire : Mitchell participe à la Seconde Guerre mondiale et est même fait prisonnier durant la bataille des Ardennes. Cette expérience dure et formatrice nourrit sa résilience et son sens du dépassement de soi, qualités qu’il transpose dans son entraînement rigoureux.

À son retour, il s’installe à Los Angeles où il devient professeur de sport et « guidance counselor », mêlant ainsi pédagogie et passion pour le corps. Parallèlement, il intègre la troupe musclée de la célèbre chanteuse et actrice Mae West, reconnue pour son style provocateur et son goût pour les spectacles ambitieux. Sur scène, Mitchell allie sa carrure impressionnante à une présence scénique assumée, ce qui lui ouvre les portes d’Hollywood.

Il y décroche alors plusieurs petits rôles et figurations, souvent dans des productions où son physique le prédestine à jouer le colosse, le gladiateur ou la brute sans nuances. Néanmoins, malgré une stature impressionnante, Hollywood ne lui offre pas encore le rôle majeur qui pourrait le révéler au grand public.

C’est finalement en Italie, au début des années 1960, qu’il trouve la consécration. La vague du péplum, lancée par le triomphe de Steve Reeves dans « Hercule » (1958), transforme le cinéma italien en une véritable usine à colosses musclés. Mitchell répond à cette demande et rejoint Rome, où il devient l’un des visages incontournables du genre. Sur place, son physique monumental et son charisme brut trouvent un écho parfait dans ce cinéma populaire, bâti sur l’exaltation de la force et des exploits héroïques, donnant ainsi une nouvelle dimension à sa carrière.

L’âge d’or du bis italien

En 1961, Gordon Mitchell débarque donc à Rome en répondant à une annonce de producteurs italiens cherchant un candidat pour incarner un nouvel Hercule, un rôle emblématique du péplum en pleine explosion dans le cinéma transalpin. Il s’impose rapidement comme l’un des piliers du cinéma de genre italien, grâce à sa stature imposante et sa musculature exceptionnelle, qualités idéales pour les rôles de colosses et guerriers mythiques. Il incarne notamment des personnages cultes tels que Hercule, Maciste ou Samson, figures récurrentes des péplums où se mêlent exploits surhumains et batailles épiques.

Sa carrière ne se limite pas au péplum. Mitchell s’aventure avec aisance dans une large palette de genres populaires et souvent décalés du cinéma d’exploitation italien : du western spaghetti, avec ses duels et ambiances poussiéreuses, au cinéma d’horreur gothique, en passant par la nazisploitation, qui exploite de façon outrancière et controversée des thématiques liées à la Seconde Guerre mondiale, ou encore le post-apocalyptique, où il incarne des mutants ou des brutes dans des mondes dévastés.

Sa filmographie, foisonnante et bigarrée, frôle les 200 titres, et il devient une figure incontournable du bis italien, reconnu pour sa capacité à passer d’un nanar musclé à une apparition plus prestigieuse, comme celle dans Satyricon (1969) de Federico Fellini. Dans ce film d’avant-garde, Mitchell incarne un rôle secondaire mais notable, celui d’un voleur au sein d’un univers baroque et surréaliste, montrant qu’au-delà des péplums et séries B, il pouvait aussi toucher à des œuvres artistiquement ambitieuses.

Cette diversité de rôles démontre non seulement sa popularité dans le cinéma de genre italien mais aussi la singularité de sa présence à l’écran : entre force brute, charisme et une certaine forme d’auto-dérision, Mitchell est devenu un monument du cinéma bis, capable de naviguer entre les extrêmes du cinéma populaire des années 1960 et 1970, tout en offrant parfois des performances marquantes dans des films d’auteur.

La gueule de salaud : Signature visuelle et carrière à part

Mitchell n’a jamais eu le visage lisse du héros classique hollywoodien, loin des traits doux ou séduisants habituels des stars principales. Sa mâchoire massive, anguleuse, presque sculpturale, son front large et son regard perçant, souvent dur ou menaçant, constituent une véritable signature visuelle. Cette physionomie robuste et rugueuse, presque taillée dans la pierre, en fait immédiatement un « bad guy » idéal, la figure incontournable de l’antagoniste viril et brutal qui explose à l’écran. Mitchell incarne parfaitement cette « gueule de salaud » à la fois redoutable et fascinante, capable de susciter à la fois crainte et admiration.

Au-delà de son aspect brut, sa stature imposante, sa musculature impressionnante, cette aura d’homme fort, lui confère une force surhumaine. Que ce soit en colosse antique ou en bandit des westerns spaghetti, sa présence physique incarne la menace ou la violence latente, que l’on peut retrouver dans des rôles plus contemporain comme celui du tueur froid et efficace incarnant la brutalité sans scrupule dans Le saut de l’ange de Yves Boisset au coté d’un Jean Yanne revanchard.

Le tueur à gage Henry Di Fusco – Le Saut de l’ange (1971) Yves Boisset

Mais ce qui distingue Mitchell, c’est aussi une certaine autodérision dans sa manière d’investir ses rôles. Il ne se contente pas de jouer le gros dur : il semble souvent conscient de son image et s’amuse à la détourner. Ce double jeu, entre gravité apparente et léger décalage dans le jeu lui apporte une singularité rare dans le cinéma d’exploitation. Il peut basculer d’un rôle d’antagoniste redoutable à une figure presque caricaturale, voire sympathique, jouant avec les codes du genre tout en transcendant leur simplicité.

Cette combinaison unique de traits physiques marqués, de charisme brut et d’autodérision lui a permis de traverser plusieurs décennies, plusieurs modes cinématographiques et genres très différents sans jamais perdre sa superbe. Gordon Mitchell reste ainsi une icône du cinéma bis, une « gueule » reconnaissable entre toutes, capable d’incarner autant la menace frontale que le clin d’œil complice au spectateur.

Un rôle décalé dans « Le Coup du parapluie »

En 1980, Mitchell surprend tout le monde en apparaissant dans la comédie française Le Coup du parapluie de Gérard Oury. Il y campe Moskovitz, un tueur à gages glacial et implacable, plongé dans un univers de quiproquos et de satire du show-business. Face à Pierre Richard, Mitchell joue de sa « gueule de salaud » avec un sérieux irrésistible, amplifiant le comique de situation par le contraste entre sa violence contenue et le ton burlesque du film.

Moskovitz

La scène où Moskovitz affronte le héros pour un parapluie empoisonné est emblématique : la brute de Cinecittà devient, le temps d’un film, une figure parodique et attachante. Ce contre-emploi offre à Mitchell une reconnaissance inattendue auprès du public français, tout en démontrant sa capacité à se moquer de lui-même et à embrasser l’absurde.

Derniers rounds et héritage

À la fin des années 1980, Mitchell retourne aux États-Unis, où il dirige des salles de sport et continue de faire quelques apparitions à l’écran. Il reste une légende du bodybuilding, honoré à Muscle Beach aux côtés des plus grands. Puis il se mettra à la peinture sur le tard avant de nous quitter en 2003.

Gordon Mitchell, c’est l’histoire d’un colosse qui a su transformer sa force brute en une carrière unique, naviguant entre les genres, les continents et les registres. Culturiste, star du cinéma d’exploitation, « gueule… tout court » et comédien capable d’autodérision, il demeure une référence pour tous les amateurs de films qui sentent la sueur, la poussière et la pellicule bon marché, mais aussi pour ceux qui aiment voir les icônes se tourner en dérision.

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